16 septembre 2023

Bout de sein en silicone : son utilisation est-elle un obstacle à l'allaitement ?

Comité Scientifique

Le bout de sein en silicone (BDS) ou nipple shield en anglais, est un accessoire disposé entre la bouche du bébé qui tète et le mamelon maternel dont il épouse la forme.
Il est utilisé dans trois circonstances :

  • en premier lieu, pour atténuer les douleurs du mamelon, avec ou sans crevasses
  • quand un mamelon plat ou peu saillant offre une prise insuffisante au bébé, surtout au 3ème jour quand l'œdème du sein efface encore plus son relief
  • chez le prématuré pour faciliter la prise du sein à un bébé peu tonique

Son utilisation est le plus souvent décidée sur proposition et prescription du personnel soignant de la maternité. Certains établissements l'inscrivent même sur la liste du matériel à apporter, remise lors de l'inscription à la maternité.
Plusieurs questions se posent alors :

  • quelle est la liberté de choix de la mère face à l'incitation des professionnelles ?
  • la prescription est-elle toujours justifiée ?
  • est-elle suivie d'une démonstration de l'utilisation ? avec une téterelle de taille adaptée ?
  • quel accompagnement va suivre cette prescription tout au long de son utilisation
    pour que le BDS facilite l'allaitement sans compromettre la lactation ?
  • quelle temporalité respecter dans l'utilisation du BDS ? quand commencer et
    quand le supprimer ?
  • enfin, y aurait-il une incitation commerciale à son usage, ce que peut laisser
    penser la multiplication des modèles et des marques ?

Notre premier objectif est donc d'analyser le contexte de son utilisation.

Soulager la douleur

L'expression d'une douleur doit toujours être respectée mais son ressenti est influencé par de nombreux paramètres :

  • le vécu de l'accouchement,
  • l'inconfort physique et psychologique qui y fait suite
  • la fatigue et le manque de sommeil qui l'exacerbent
  • la possibilité de réconfort par les proches et les soignants

L'origine de la douleur connaît de multiples explications possibles et suscite encore bien des recherches (Douglas, Women's Health, Vol18 : 1-29, 2022). Pour beaucoup de mères, la découverte de la sensation puissante de la tétée peut être assimilée à une expérience douloureuse (Buck, Breastfeed Med 2014; Jiminez Gomez, Breastfeed Med 2021). La plupart d'entre elles vont l'apprivoiser en 7 à 10 jours (Dennis,
Cochrane 2014). Dans près d'un cas sur deux, une douleur peut exister sans qu'il y ait de lésion apparente du mamelon (Mac Clellan, JHum Lact 2012). Chez certaines femmes qui ont les mamelons naturellement hypersensibles, la douleur ressentie lors des tétées peut conduire à les espacer sans pour autant qu'une diminution de la production quotidienne de lait soit démontrée (Coentro, JOGNN, 51,73-82; 2022).

Devant une plainte pour mamelons douloureux, la première réponse à apporter est d'évaluer la position de la mère et du bébé. L'Allaitement Instinctif® (Colson S, L'allaitement instinctif, Éd Ressources Primordiales, 2021) qui a fait ses preuves dans la prévention des crevasses, recommande la position semi-couchée de la mère qui permet d'accueillir le bébé à plat ventre sans avoir à le maintenir, les mains étant libres pour des caresses et pour le guider un peu si besoin. Dans cette position, le bébé peut prendre le
sein de face sans étirement du mamelon. Le maintien d'un contact continu sous le regard attentif de sa mère lui permet de téter à son rythme, y compris quand il dort, et rend caduques les consignes habituelles sur le temps de la tétée. C'est la place naturelle d'un nouveau-né dans les premières heures de vie. Le besoin de la continuité du contact est une constante dans le monde animal et une nécessité pour son adaptation. Chez les mammifères, il est ainsi contre la mamelle et peut téter quand il veut, sans qu'on ait à se soucier de son état d'éveil et surtout, sans attendre qu'il "réclame".

Il se peut qu'un bébé peine à trouver une position confortable du fait d'une asymétrie posturale (ou attitude en torticolis). Les contraintes mécaniques subies en fin de grossesse peuvent créer des tensions cervicales et maxillaires que l'intervention d'un ostéopathe ou un chiropraticien à compétence néonatale améliore souvent (sans qu'une étude sur ce sujet n'ait été publiée à ce jour).

La responsabilité d'un frein de langue trop court dans les difficultés d'allaitement est probablement surévaluée. Un débat récent a tenté de définir une attitude raisonnée (Communiqué SFP 25 janvier 21). La frénotomie peut être indiquée quand elle est associée à des douleurs persistantes malgré les mesures proposées ci-dessus. Le constat d'un frein court ne suffit pas car certains bébés s'en accommodent sans faire souffrir leur mère. (Rowan-Legg A. 2015. Ankyloglossia and breastfeeding. Paediatr Child Health; 20
(4): 214-218).

Le mamelon plat

Ce constat, souvent présenté comme un diagnostic par une soignante, est un discrédit de l'anatomie de la mère. Reçu comme un verdict, il entame sa confiance en elle et en sa capacité d'allaiter. Il est pourtant démontré qu'un bébé peut téter efficacement un mamelon peu saillant, voire ombiliqué, même s'il est évident que c'est moins facile pour lui. Le bébé intègre la perception du BDS et s'y habitue s'il lui est présenté tôt dans sa vie (Coentro, Eur J Pediatr.2021 May;180(5):1537-1543). Il sera dérouté quand, par la suite, on lui proposera de téter directement le sein.

Le prématuré

L'utilisation du BDS ne doit pas être systématique mais elle permettrait un meilleur transfert de lait chez le prématuré de plus de 32-34 semaines dont la succion est inefficace (Clum D, J Hum Lact 1996; 12:287-290; Meïer P, J Hum Lact, 2000, 16(2):106- 14;). Il ne compromet pas nécessairement la poursuite de l'allaitement et le sevrage du BDS est progressivement possible avec l'évolution de la succion (SL Perrella, Advances in Neonatal Care ).

Pour un usage raisonné

Il est prudent d'éviter le BDS dans la phase colostrale car les quelques millilitres de colostrum émis y restent piégés et sont perdus. Mieux vaut l’expression manuelle du colostrum pour le donner directement au bébé ou au moyen d'une cuillère, d'une pipette. On évite ainsi une mise au sein laborieuse tout en apportant au bébé ce dont il a besoin dans sa période de transition métabolique.

C'est souvent au troisième jour qu'apparaît le BDS, quand les difficultés à saisir le mamelon sont les plus grandes. Mais comme le temps de la sortie suit de peu, les femmes sont renvoyées chez elles tributaires de cet accessoire. S'il a pu aider au démarrage de l'allaitement, il est légitime d'inciter les mères à s'en passer sans tarder dans un souci de simplification et d'hygiène. L'action bactériostatique de la salive du bébé ne semble pas pouvoir s'exercer sur cette matière synthétique et le risque de développement d'un biofilm (colonie bactérienne) oblige à un nettoyage insistant.

D'autre part, la dépendance à cet accessoire est une contrainte en contradiction avec le naturel de l'allaitement. Il est souhaitable d'intervenir le plus tôt possible avant d'observer une possible chute de la lactation et que mère comme enfant ne soient trop habitués à cette routine. En effet, une diminution de la lactation a été rapportée à une utilisation prolongée du BDS du fait de la moindre stimulation du mamelon. Des publications récentes mais contradictoires remettent en question cette assertion
(Coentro et al, BMC Pregnancy and Children, (2020)20:516 vs Coentro Breastfeed Med.2021 Mar;16(3):222-229). Si les dosages hormonaux montrent un taux de cortisol et de prolactine identiques à ceux d'une tétée directe, le taux d'ocytocine est plus bas (Chertok, JOGNN 2006, 35(2):265-272). Le drainage insuffisant des seins incriminé comme cause de mastite serait plus la conséquence d'une mauvaise utilisation que du BDS lui-même.

Comme déjà dit plus haut, le bébé s'habitue vite au BDS comme à tout ce qui va constituer son environnement. Trop attendre peut rendre difficile l'acceptation d'un nouveau contact et d'une façon différente de téter.

Sevrage du BDS

Il doit être envisagé dès le début de son utilisation pour éviter de s'installer dans l'habituation. L'accompagnante qui prend le relais en ville passe un contrat avec la femme qui appréhende ce changement. La confiance établie et le désir de la mère sont les paramètres essentiels. La valorisation d'un allaitement simplifié, possible partout, d'une nouvelle expérience de la tétée directe, influence positivement. Pour être bien accueilli, le sevrage sera proposé dans un moment paisible. La relance de la lactation, souvent observée, et la reprise de poids du bébé sont un bon encouragement à persévérer.

Toutefois, certaines mères allaitent efficacement avec un BDS pendant des mois et ne souhaitent pas s'en défaire peut-être par crainte de voir les douleurs réapparaître (Chertok, J Clin Nurs. 2009 Nov;18(21):2949-55; McKechnie, Breastfeeding Med. 2010 Vol5:6 ).

En conclusion

Le BDS peut s'avérer précieux dans des indications bien posées. C'est la qualité du suivi qui évitera les écueils portés à son discrédit. Il s'inscrit dans l'ensemble des mesures d'accompagnement débutées à la maternité et prolongées en ville. La relation de confiance établie avec la mère est déterminante pour la poursuite de l'allaitement.

Travail du Comité Scientifique de la CoFAM 2023 :

Christian BURLE, Hélène CLESSE, Suzanne COLSON, Marie COURDENT, Marie-Agnès DELESCLUSE, Claude-Suzanne DIDIERJEAN-JOUVEAU, Pascale HASSLER, Juanita JAUER STEICHEN, Marie LACOMBE, Louise LEBLANC, Cathy LEGIER, Dominique LEYRONNAS (rapporteur), Sandrine MILLONES, Marc PILLOT, Fréderic ROUSSEL, Claire SCHLEGEL- LEPOUPON, Anne TESSIER, Estelle TILLIER

Documents à télécharger

Bout de sein en silicone -oct 23 1
Association loi 1901 qui œuvre à la protection et au soutien de l’allaitement maternel.
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