29 juin 2021

Poids de naissance, perte de poids et don de compléments en maternité aux nouveaux-nés allaités : revue de la littérature et étude critique

Comité Scientifique

Résumé

La mise en route de l’allaitement maternel demande…

… un environnement rassurant et bienveillant trop facilement déstabilisé par un interventionnisme excessif et par le don de compléments qui en résulte trop souvent. Celui-ci est vécu comme un désaveu de la fonction de mère allaitante et compromet la poursuite de l’allaitement.
Nous voulons évoquer ici des situations courantes en maternité où les chiffres méritent d’être reconsidérés :

  • le poids de naissance utilisé pour discriminer les enfants dits à risque n’est pas un reflet fiable de la corpulence dans une population hétérogène.
  • la perte de poids des premiers jours est influencée par les apports hydriques chez la mère dans les heures qui précèdent la naissance. la crainte de l’hypoglycémie chez le nouveau-né à terme et en bonne santé est excessive, car elle ne tient pas compte du rôle des carburants alternatifs (corps cétoniques, lactates et autres) dans le métabolisme néonatal.

Contexte

Comme la grossesse et l’accouchement, l’alimentation du nouveau-né est, en Occident, tombée dans le domaine médical. Le processus naturel que représente l’allaitement (maternel) semble devenu moins spontané pour les femmes, sans doute pour des raisons sociologiques et culturelles. Dans le même temps, la promotion insistante des substituts industriels du lait maternel (préparations commerciales pour nourrissons) a conduit d’une part à ce que les mères se libèrent de l’obligation de nourrir leur enfant, d’autre part à ce que les soignants considèrent ces produits non plus comme des substituts mais comme une alternative équivalente à l’allaitement maternel.
En conséquence, donner un complément de lait industriel à un nouveau-né est un geste banalisé et trop souvent laissé à l’initiative de tout(e) soignant(e) sans avis médical circonstancié, autrement dit sans évaluation valide et fiable de la situation.
Pourtant, l’ingestion, même temporaire, de préparation pour nourrisson vient perturber les mécanismes physiologiques adaptatifs et peut être le point de départ d’une allergie au lait de vache (53) ainsi que d’une modification durable du microbiote (26), avec un retentissement sur la santé à court et long terme.

D’autre part, si les substituts du lait maternel peuvent être d’un secours appréciable en certaines circonstances, leur utilisation élargie trouble la mère qui a choisi d’allaiter en semant le doute sur sa compétence à nourrir son bébé (50). Or, la confiance en elle-même est un facteur déterminant pour la poursuite et la durée de son allaitement (18).

Le poids de naissance

La pesée du nouveau-né est une pratique instaurée en Occident au 19ème siècle, quand la médecine commence à se préoccuper de la survie des nourrissons. Au début du 20ème siècle, époque où le suivi obstétrical est à peu près inexistant, le poids de naissance devient le signe de la bonne santé du nouveau-né, bien qu’il semble difficile de définir un poids normal pour un nouveau-né autant que pour un adulte (36, 42).

Aujourd’hui, grâce à l’élaboration de courbes statistiques, le poids de naissance est devenu un critère de classement des nouveau-nés : ceux qui sont aux extrêmes de la distribution sont considérés comme ayant un poids insuffisant ou excessif. Pour la mère qui vient d’accoucher, avoir un bébé non conforme est source d’inquiétude, et l’interventionnisme des soignants ne fera qu’amplifier ce ressenti. Les contrôles répétés de la glycémie (43) et l’incitation à “faire téter“ son enfant, en provoquant si besoin des réveils intempestifs, ont tôt fait d’éroder sa sérénité. Celle-ci est pourtant indispensable en cette période cruciale pour l’établissement du lien et la mise en place de l’allaitement. L’administration de compléments de lait industriel y portera trop souvent un coup fatal.

Pourtant, l’observation nous montre qu’à poids égal, les nouveau-nés ne rencontrent pas tous les mêmes difficultés. Leur tolérance au jeûne relatif des premières heures dépend d’abord de leurs réserves énergétiques dont le poids, pris isolément, est un reflet imparfait, comme plus tard dans la vie. Si la validité du poids de naissance a été améliorée par la formule AUDIPOG® qui tient compte de facteurs génétiques familiaux (37), elle reste imparfaite en ne prenant pas en compte l’origine ethnique. Or beaucoup de nos maternités accueillent des populations d’origines diverses dont les paramètres anthropométriques sont très différents. Il faut donc en tenir compte dans l’évaluation du risque encouru par un nouveau-né.

La sélection par le seul poids de naissance rencontre un autre écueil. Si certains nouveau-nés sont l’objet d’un suivi dont ils n’ont pas besoin, comme nous venons de l’évoquer, d’autres méritent une surveillance rapprochée car ils ont peu de réserves, alors que leur poids entre dans les courbes de référence (12, 47). Par exemple, un nouveau-né de 2700 g et 50 cm a un indice de masse corporelle (IMC) à 2,16, inférieur à celui d’un nouveau-né qui pèse 2500 g pour 47 cm (IMC = 2,4) ; pourtant, c’est le second qui sera surveillé comme étant à risque (IMC normal : 2,2 à 3). Calculer la corpulence d’un nouveau-né suppose d’avoir une mesure fiable de la taille, ce qui est malaisé en pratique du fait de la rémanence de la position fœtale et du tonus en flexion des jambes du nouveau-né. L’observation visuelle nous dit si un bébé est rond, dodu, potelé, trapu, ou au contraire sec, mince, long, pour reprendre les termes les plus courants, certes teintés de subjectivité mais validés par l’expérience des soignant(e)s.
La mesure du périmètre brachial et son rapport au périmètre céphalique semblent être les critères les plus intéressants (2, 32), mais il existe peu d’études sur ce sujet, ce qui montre bien le manque d’intérêt des pédiatres, plus habitués à des protocoles hospitaliers conventionnels. Pourtant, dans l’organisme du nouveau-né, c’est le cerveau qui consomme le plus d’énergie; un nouveau-né de 2500 g consommera donc plus d’énergie et risquera plus de faire une hypoglycémie si son périmètre crânien est de 35 cm que s’il est de 32,5 cm. Cela souligne que le poids considéré isolément est un outil de dépistage invalide (32).

La perte de poids précoce du nouveau-né

Elle peut se comprendre par le déséquilibre entre les sorties et les apports.

D’un côté, une abondante élimination de méconium et d’urines, et de l’autre, une ingestion d’un faible volume de colostrum jusque H48 (51), délai d’adaptation digestive du nouveau-né. L’apport de lait industriel vient fausser cette équation par des ingestas de lait immédiats et volumineux, souvent régurgités quand leur volume dépasse la tolérance gastrique. La surveillance du poids des nouveau-nés exclusivement allaités doit donc se référer à des courbes spécifiques (5, 20, 50, 52). D’après un grand nombre d’études, la perte de poids moyenne d’un nouveau-né allaité serait de 6 à 8 % et atteint son maximum avant H72 (5, 17, 20, 23, 34, 44). La dispersion des chiffres donnés par les différentes études peut être comprise par les différences de population, mais surtout par les différentes stratégies d‘accompagnement au début de l’allaitement. Par exemple, la perte de poids peut être inférieure à 4 % dans une maternité offrant un soutien à l’allaitement renforcé, grâce à l’application des recommandations de l’IHAB et du Biological Nurturing (40).

Cas particulier : la naissance par césarienne

Plusieurs études rapportent…

une perte de poids plus importante après une naissance par césarienne (20, 23, 48) ou quand la mère a été perfusée pendant l’accouchement (10, 11, 24, 44). Tout porte à croire que la charge liquidienne, reçue rapidement par la mère, diffuse en partie au nouveau-né : un aspect œdématié et une diurèse plus importante sont alors observés pendant les premières 24 heures. Dans ces situations, le poids de référence pour le suivi ultérieur devrait être celui de H24 et non celui de H1 (15).
D’autre part, s’il est habituel de signaler des difficultés d’allaitement après une césarienne, les circonstances de cette intervention (stress de l’urgence, épuisement lié à un travail prolongé) semblent avoir autant d’influence que l’intervention elle-même sur la mise en place de l’allaitement (35). La séparation initiale, souvent imposée pour la surveillance de la mère, fait obstacle à la première tétée dont on connaît l’importance dans l’initiation de l’allaitement. Par ailleurs, la mère peut avoir du mal à répondre aux besoins de son bébé à cause de ses difficultés à se mobiliser pendant les premiers jours.

Perte de poids excessive

Une perte de poids supérieure à 10 % à H72 expose, à court terme, à un risque de désordres métaboliques (hypoglycémie, déshydratation hypernatrémique, ictère) (6, 8, 38) ; à moyen terme, à un retard au rattrapage du poids de naissance et, à long terme, à un arrêt précoce de l’allaitement (découragement et doute maternel). Une perte de poids excessive chez un enfant allaité exprime clairement des difficultés d’allaitement qui n’ont pas été repérées, ni prises en charge à temps. Cela expliquerait la perte de poids plus importante chez les enfants premiers-nés (8, 34, 38) en raison du manque d’expérience maternelle. La qualité de l’accompagnement repose sur l’apprentissage de critères d’observation cliniques, méconnus ou négligés au profit de la courbe de poids, dont la tenue demande moins de temps et d’engagement.
Par ailleurs, les pratiques de puériculture peuvent majorer les pertes hydriques et caloriques, notamment le bain quotidien quand il est cause d’agitation, de pleurs excessifs ou d’hypothermie (9, 25). Lors d’une naissance par césarienne, une installation incorrecte en peau-à-peau peut aussi être source de refroidissement par la climatisation du bloc opératoire.
Enfin, il est courant d’observer que la préoccupation des médecins pour les chiffres exerce une pression psychologique sur les soignant(e)s qui la répercutent aux mères, portant ainsi préjudice à la confiance nécessaire pour allaiter (50). Cet effet est renforcé par la réduction du séjour en maternité à moins de trois jours, ce qui laisse trop peu de temps pour que l’allaitement soit établi sereinement. En effet, la reprise ou la stabilisation du poids est présentée comme le sésame qui permet le retour chez soi, un objectif rarement atteint avant le troisième jour avec un nouveau-né allaité. La courbe de poids peut être faussement inquiétante si la naissance a eu lieu en début de nuit, la première colonne ne représentant alors que quelques heures. Enfin, un changement de balance risque aussi d’introduire un écart de mesure.

Surveillance glycémique

La surveillance de la glycémie capillaire a connu ces dernières décennies une diffusion excessive dans beaucoup de maternités. D’utilité reconnue pour la surveillance des enfants à risque, notamment prématurés ou hypotrophes, ce geste trop simple a été étendu à des situations qui ne le justifient pas, comme un jeûne prolongé chez un nouveau-né eutrophe, à terme ou proche du terme. Ce jeûne des premiers jours a d’ailleurs été volontaire, voire ritualisé, dans bien des cultures et des époques, sans que les enfants en pâtissent (46). Dans cette situation, il a été montré que la glycémie peut descendre sans dommage au-dessous des seuils habituels d’intervention (1, 27, 28). La constatation d’une glycémie jugée basse aboutit trop souvent à un apport de compléments chez des enfants pourtant asymptomatiques. En effet, leur cerveau est capable d’utiliser des carburants alternatifs pendant les trois premiers jours (29, 30, 54) : d’une part, les lactates (28) libérés par le muscle utérin pendant le travail et, d’autre part, les corps cétoniques abondamment produits par le catabolisme des graisses, réserve énergétique constituée par le fœtus en fin de grossesse (33). Ce processus physiologique, déjà en place avant la naissance (7), est largement méconnu des soignants : cela est bien regrettable, car ce mécanisme est inhibé par l’apport de sucres qui déclenche une insulinosécrétion.

Effets délétères de l’administration de compléments

L’ingestion, même temporaire, de préparations commerciales pour nourrissons est loin d’être anodine (4).

En sensibilisant au lait de vache, elle peut être le point de départ d’une allergie qui perturbera la première année de vie chez 2 à 7 % des nourrissons (31) : c’est l’une des plus fréquentes allergies alimentaires de l’enfant, avec une forte responsabilité dans les accidents mortels (3). De plus, il est maintenant établi
que la modification durable du microbiote qu’elle occasionne (13, 26) implique sa responsabilité dans les maladies allergiques et dans l’asthme de l’enfance (26), ainsi que dans la fréquence des infections des deux premières années de la vie (16).
Toutefois, un complément ponctuel d’un volume limité peut se justifier sur prescription médicale devant une perte de poids excessive et peut, dans ce cas, rassurer la mère pour la suite de l’allaitement (19, 22, 50). À vrai dire, cette situation pourrait souvent être évitée par un accompagnement adapté de l’allaitement.

Propositions pour éviter l’apport de compléments

Reconsidérer la pesée du nouveau-né :

  • Prendre comme poids de référence le poids de H24 afin de réduire l’influence des perfusions maternelles sur la chute de poids (15)
  •  Évaluer la corpulence des enfants dont le poids est aux centiles extrêmes, ainsi que la morphologie de leurs parents, pour définir s’ils entrent dans une catégorie à risque ou non
  • Remettre en question la pesée quotidienne en maternité en lui substituant une évaluation valide des tétées
  • Réserver la surveillance de la glycémie capillaire aux seuls enfants à risque, en fonction de protocoles tenant compte des mécanismes de transition métabolique chez le nouveau-né

Créer des conditions favorables à l’initiation de l’allaitement :

  • En salle de naissance, favoriser le peau-à-peau immédiat qui permet l’échange des regards et facilite la première tétée en déclenchant la sécrétion d’ocytocine (Annexe 1)
  • Pendant le séjour en maternité, permettre la proximité mère/enfant la plus continue possible et rendre la mère proactive, accompagnée mais non dirigée.
  • Former les professionnel(le)s à l’évaluation des tétées avec des critères d’observation validés (14), la surveillance du poids venant seulement confirmer les observations (Annexe 2)
  • Avoir une attention particulière pour les situations reconnues plus fragiles : primipares, mères plus âgées (38) ou très jeunes, césariennes.
  • Il est inconcevable de laisser sortir une mère du service de maternité sans qu’elle ait pu repérer ce qu’est une vraie déglutition de son bébé

Tracer l’apport de complément qui est un acte loin d’être anodin :

  • Indication et prescription médicale qui le justifie
  • En faire mention dans le Carnet de Santé en raison du risque d’allergie ultérieure

Documents à télécharger

Association loi 1901 qui œuvre à la protection et au soutien de l’allaitement maternel.
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